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HISTOIRE DE MES BÊTES.

Le lièvre fit à l’instant même un tête à la queue des plus significatifs, et commença une série de cabrioles vraiment fantastiques.

Il était évident qu’il était touché.

Je bondis hors de mon trou comme un jaguar en criant :

— Y est-il ? en tient-il ? À moi, les chiens ! Rabatteurs ! rabatteurs !… Ah ! coquin ! ah ! brigand ! attends, attends !

Mais, au lieu de m’attendre, ou plutôt d’attendre le châtiment que je lui réservais pour l’entêtement qu’il mettait à me fuir, le lièvre, qui entendait ma voix, n’en faisait que de plus extravagants écarts.

Quant à ses deux compagnons, l’un, à tout ce tapage et à toute cette gymnastique, rebroussa chemin et força les rabatteurs. L’autre en prit son parti et passa si près de moi, que, n’ayant plus rien dans mon fusil, je lui jetai mon fusil lui-même.

Mais ce n’était là qu’une agression incidente qui ne m’avait aucunement détourné de la poursuite principale.

J’étais lancé sur mon lièvre, qui continuait à se livrer à la carmagnole la plus effrénée, ne faisant pas quatre pas en ligne droite, sautant deçà, sautant delà, bondissant en avant, bondissant en arrière, trompant tous mes calculs, m’échappant au moment où je croyais le tenir, gagnant dix pas sur moi comme s’il n’avait pas la moindre égratignure, puis, tout à coup, rebroussant chemin, et venant me passer entre les jambes. On eût dit une gageure. J’étais exaspéré ; je ne criais plus, je hurlais, je ramassais des pierres, je les lui lançais ; quand je me croyais à sa portée, je me jetais à plat ventre, espérant le prendre entre moi et la terre, comme dans un trébuchet. À travers la