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HISTOIRE DE MES BÊTES.

sablonneux. Des enfants en jouant avaient creusé un grand trou dans le sable. M. Mocquet m’indiqua le trou, m’engagea à m’y terrer, m’affirmant que, si je ne bougeais pas, les lièvres viendraient m’y réchauffer les pieds.

Ce n’eût point été du luxe, il faisait un joli froid, bien cassant.

La traque commença.

Aux premiers cris poussés par les rabatteurs, deux ou trois lièvres se levèrent, et, après s’être consultés sur le chemin qu’ils avaient à suivre, ils se mirent, comme les trois Curiaces, dont j’avais, la veille, traduit le combat dans le De viris illustribus, à prendre la route de mon ravin.

Je doutai un instant ; étaient-ce bien des lièvres ? Ils m’apparaissaient gros comme des ânes.

Mais, lorsqu’il n’y eut plus de doute sur leur identité, lorsque je les vis venir sur moi aussi droit que s’ils se fussent donné rendez-vous dans mon trou, un nuage me passa sur les yeux et il me sembla que j’allais m’évanouir.

Je crois même que je fermai les yeux.

Mais, en les rouvrant, je vis mes lièvres suivant toujours la même direction. À mesure qu’ils s’avançaient, mon cœur battait plus fort ; le thermomètre marquait 5 ou 6 degrés au-dessous de zéro, et l’eau me coulait sur le front. Enfin, celui qui faisait tête de colonne parut prendre résolument le parti de me charger, et vint droit sur moi. Depuis le moment de son départ, je le tenais en joue ; j’aurais pu le laisser approcher à vingt pas, à dix pas, à cinq pas, le foudroyer de mon coup de fusil, comme d’une décharge électrique ; je n’en eus pas la force : à trente pas, je lui lâchai mon coup à travers le visage.