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HISTOIRE DE MES BÊTES.

— Et bien, Michel, quand vous verrez Challamel, vous le remercierez deux fois au lieu d’une, n’est-ce pas ?

Je ne sais pas si Michel remercia Challamel une ou deux fois ; mais ce que je sais, c’est que Challamel m’en voulut toujours de lui avoir rendu Mouton.

Pendant les trois premiers jours, je ne m’étais pas ennuyé : la peur de devenir enragé avait victorieusement combattu l’ennui ; mais, du moment que je fus débarrassé de cette crainte, le Bâtard de Mauléon me trotta par la tête.

Par malheur, il n’était pas commode d’écrire avec une main complètement privée de mouvement, et étendue sur une palette ; cependant, je n’en désespérai point. J’appelai à mon aide tout ce que j’avais d’idées en mécanique ; j’introduisis le bâton de la plume dans une espèce de pince que je pratiquai entre l’index, le médium et l’annulaire, et, grâce à un mouvement de l’avant-bras que je substituai à celui des doigts et du poignet, je repris mon récit, juste où je l’avais quitté pour donner à Mouton le malencontreux coup de pied qui avait amené la catastrophe ; seulement, comme on le comprend bien, ce mode d’exécution nouvelle fit un grand changement entre les écritures.

Sur ces entrefaites, Gudin, qui était mon voisin, vint me voir : je m’aperçus qu’il s’avançait avec certaines précautions : le bruit courait déjà que, mordu par un chien enragé, j’avais eu un premier accès de rage.

Je rassurai Gudin, et lui montrai mon invention.

Gudin la loua fort.

Puis, par manière de conversation :

— Savez-vous, me dit-il, que moi, le plus grand collectionneur