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HISTOIRE DE MES BÊTES.

les amis extraordinaires étant convoqués, on se trouva en nombre suffisant pour procéder au jugement.

Michel fut nommé procureur général, et Nogent-Saint-Laurent défenseur d’office.

Je dois dire que les dispositions du jury étaient évidemment mauvaises ; aussi, après le discours du procureur général, la condamnation capitale était-elle presque certaine.

Mais l’habile avocat, prenant au sérieux l’accusation, et appelant à son aide toute son éloquence, fit valoir l’innocence de Mysouff, la malice des singes, le peu d’initiative du quadrupède, l’incessante activité des quadrumanes. Il prouva que, se rapprochant des hommes, ils devaient en avoir les mauvaises inspirations. Il montra Mysouff incapable de rêver par lui-même un pareil crime. Il le montra dormant du sommeil du juste ; puis, tout à coup, au milieu de ce sommeil inoffensif, réveillé par les abominables animaux qui, placés en face de la volière, méditaient depuis longtemps le crime. On vit Mysouff, à moitié réveillé, détirant ses pattes, ronronnant encore, ouvrant sa gueule rose, où se recourbait une langue pareille à celle des lions héraldiques ; écoutant, en secouant les oreilles, — preuve qu’il la repoussait, — l’infâme proposition qu’on osait lui faire ; s’y refusant d’abord (l’avocat affirmait que son client avait commencé par s’y refuser) ; puis, jeune, d’un caractère facile, vicié par la cuisinière, qui, au lieu de lui faire sa pâtée de lait ou de bouillon, comme elle en avait reçu l’ordre positif, avait excité ses appétits carnassiers en lui donnant des morceaux de mou, des restes de cœur de bœuf et des rognures de côtelettes ; se laissant aller peu à peu, plutôt par faiblesse et par entraînement que par cruauté et par