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HISTOIRE DE MES BÊTES.

Il en est d’un roman ou d’un drame comme d’un dîner.

Vos convives ont faim ; ils ont le désir de manger. Ce qu’ils mangeront, peu leur importe, pourvu que leur appétit soit satisfait.

Servez-leur une soupe à l’oignon : quelques-uns feront la grimace, peut-être ; mais tous mangeront à coup sûr ; donnez-leur ensuite du porc, de la choucroute, quelques plats grossiers quels qu’ils soient, mais en abondance, l’estomac ne demande plus rien, et ils s’en vont sans murmurer.

Ils se diront même : « Ce n’était pas exquis ; mais, ma foi, j’ai dîné. »

Voilà pourquoi réussissent souvent ceux qui ennuient toujours, depuis le commencement du roman ou de la pièce jusqu’à la fin.

Ce procédé-là est le moins usité et le moins sûr ; je ne conseille pas d’en user.

Voici les deux autres procédés.

Le procédé Walter Scott, d’abord.

Vous servez, comme au dîner précédent, la soupe à l’oignon, la choucroute, les viandes communes. Mais viennent après perdreaux et faisans, même une simple volaille ordinaire, une oie, si vous voulez, et tous vos convives d’applaudir, d’oublier le commencement du repas, et de s’écrier qu’ils ont dîné comme on dînait chez Lucullus.

Mon procédé, à moi, est le plus mauvais, je l’ai dit.

Je sers mes perdreaux et mes faisans, mes turbots, mes homards, mes ananas, que je ne garde point pour mon dessert ; et puis vous trouvez enfin le lapin sauté, le fromage de Gruyère,