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HISTOIRE DE MES BÊTES.

— Eh bien, Alexis, lui dis-je, tu n’es pas encore décoré ?

— Ah ! Monsieur, ai-je du malheur ! depuis que je suis dans la mobile, c’est comme un fait exprès, plus d’émeutes !

— C’est fait pour toi, ces choses-là, mon pauvre Alexis.

— Puis avec cela qu’on va licencier la mobile et nous faire passer dans l’armée.

Et cette nouvelle fut suivie d’un soupir, et Alexis roula ses gros veux tendres en me regardant.

Ces gros yeux tendres et ce soupir signifiaient : « Oh ! si monsieur voulait me reprendre comme domestique, j’aimerais bien mieux servir monsieur que de servir M. Allier, et même que de servir la République. »

Je fis semblant de ne pas voir les yeux, de ne pas entendre le soupir.

— Après cela, lui dis-je, si tu veux rentrer dans la marine…

— Merci. Monsieur, dit Alexis : imaginez-vous que le bâtiment sur lequel j’aurais été transporté, si je n’étais point passé dans la mobile, a fait naufrage ; tout a été perdu, corps et biens.

— Que veux-tu, mon garçon ! les naufrages, c’est le pourboire des marins.

— Brrrrou ! et moi qui ne sais pas nager : j’aime encore mieux passer dans l’armée de terre. Mais c’est égal, si monsieur connaissait une condition, quand même on ne serait pas si bien que chez monsieur, eh bien, ça me serait encore égal.

— Eh ! mon pauvre garçon, huit jours après la révolution de février, tu me disais : « Il n’y a plus de domestiques, » et tu te trompais. Mais, huit mois après la République, je te dis : « Il n’y a plus de maîtres. » et je crois que je ne me trompe pas.