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ASCANIO.

maître, en se retournant et en la voyant posée si bien et si naturellement, poussa un cri de plaisir.

Benvenuto se mit à la besogne : c’était, comme nous l’avons dit, une de ces nobles et puissantes natures d’artiste qui s’inspirent à l’œuvre et s’illuminent en travaillant. Il avait jeté bas son pourpoint, et, le col découvert, les bras nus, allant du modèle à la copie, de la nature à l’art, il semblait, comme Jupiter, prêt à tout embraser en le touchant. Catherine, habituée aux organisations communes ou flétries des gens du peuple ou des jeunes seigneurs pour qui elle avait été un jouet, regardait cet homme à l’œil inspiré, à la respiration ardente, à la poitrine gonflée, avec un étonnement inconnu. Elle-même semblait s’élever à la hauteur du maître ; son regard rayonnait : l’inspiration passait de l’artiste au modèle.

La séance dura deux heures ; au bout de ce temps Benvenuto donna à Catherine son écu d’or, et prenant congé d’elle avec les mêmes formes que la veille, il lui indiqua un rendez-vous pour le lendemain à pareille heure.

Catherine rentra chez elle et ne sortit pas de la journée. Le lendemain elle était à l’atelier dix minutes avant l’heure indiquée.

La même scène se renouvela : ce jour-là, comme la veille, Benvenuto fut sublime d’inspiration ; sous sa main, comme sous celle de Prométhée, la terre respirait. La tête de la bacchante était déjà modelée et semblait une tête vivante sortant d’une masse informe. Catherine souriait à cette sœur céleste, éclose à son image ; elle n’avait jamais été si heureuse, et, chose étrange, elle ne pouvait se rendre compte du sentiment qui lui inspirait ce bonheur. Le lendemain le maître et le modèle se retrouvèrent à la