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ASCANIO.

Je vous suis garant que vous n’aurez pas de peine à la faire oublier… Mais vous ne répondez pas, cher maître ? Vous secouez la tête. Est-ce que je vous aurais offensé ?

— Écoute, mon enfant, répondit gravement Benvenuto : je t’ai souvent répété que, selon moi, il n’y avait qu’une chose au monde éternellement belle, éternellement jeune, éternellement féconde : à savoir, l’art divin. Pourtant, je crois, je sais, j’espère que dans certaines âmes tendres, l’amour est aussi un sentiment grand, profond, et qui peut rendre toute une vie heureuse, mais c’est rare. Qu’est-ce que l’amour, d’ordinaire ? Le caprice d’un jour, une joyeuse association où l4on se trompe réciproquement et souvent de bonne foi. Je le raille volontiers, cet amour, tu le sais, Ascanio : je me moque de ses prétentions et de son langage. Je n’en médis pas. C’est celui-là qui me plaît, à vrai dire ; il a en petit toutes les joies, toutes les douceurs, toutes les jalousies d’une passion sérieuse, mais ses blessures ne sont pas mortelles. Comédie ou tragédie, après un certain temps, on ne se le rappelle plus guère que comme une représentation théâtrale. Et puis, vois-tu, Ascanio, les femmes sont charmantes, mais, à mon sens, elles ne méritent et ne comprennent presque toutes que ces fantaisies. Leur donner plus, c’est marché de dupe ou imprudence de fou. Vois par exemple Scozzone : si elle entrait dans mon âme, elle serait effrayée. Je la laisse sur le seuil et elle est gaie, elle chante, elle rit, elle est heureuse. Ajoute à cela, Ascanio, que ces alliances changeantes ont un même fonds durable et qui suffit bien à un artiste : le culte de la forme et l’adoration de la beauté pure. C’est leur côté sévère et qui fait que je ne le calomnie pas, bien que j’en rie. Mais écoute, Ascanio, il est encore d’autres amours qui ne me font pas