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ASCANIO.

ne se croient dispensées que lorsqu’on enchaîne leur libre arbitre. File écartait donc courageusement sa pensée d’Ascanio, mais cette pensée obstinée franchissait le triple rempart élevé par Colombe autour de son cœur plus aisément qu’Ascanio lui-même n’avait franchi les murailles du Grand-Nesle. Au-si les trois ou quatre jours qui venaient de s’écouler, Colombe les avait-elle passés dans des alternatives étranges : c’était la crainte de ne pas revenir Ascanio, c’était l’effroi de le retrouver en face de lui. Sa seule consolation, c’était de rêver pendant son travail ou ses promenades. La journée elle s’enfermait, au grand désespoir de dame Perrine, réduite dès-lors à un monologue éternel dans l’abîme de sa pensée. Et puis dès que la grande chaleur du jour était passée, elle venait dans cette fraîche et sombre allée baptisée par dame Perrine du nom poétique d’allée du soir ; et là, assise sur le banc où s’était assis Ascanio, elle laissait tomber la nuit, se lever les étoiles, écoutant et répondant à ses propres pensées, jusqu’à ce que dame Perrine vînt la prévenir qu’il était temps de se retirer.

Aussi, à l’heure habituelle, le jeune homme vit tout à coup apparaître, au détour de l’allée dans laquelle il était assis. Colombe, un livre à la main. Elle lisait la Vie des Saints, dangereux roman de foi et d’amour, qui prépare peut-être aux cruelles souffrances de la vie, mais non, à coup sûr, aux froides réalités du monde. Colombe ne vit pas d’abord Ascanio, mais en apercevant une femme étrangère auprès de dame Perrine, elle fit un mouvement de surprise. En ce moment décisif, dame Perrine, comme un général déterminé, se jeta hardiment au cœur de la question.

— Chère Colombe, dit-elle, je vous sais si bonne que je