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SYMPHONIE EN VERT ET OR

— Pouah ! fait-il avec une moue de dégoût : de la viande !

Et, en connaisseur instruit de tous les régimes vitaminisés, il poursuit :

— Avec tout ce que j’ai reçu aujourd’hui de chez moi, je vais me confectionner un plat de mon cru. Du lait, du sucre, des bananes en rondelles, des biscottes émiettées, des noix pilées, des figues sèches hachées, du raisin sec écrasé, des pruneaux…

Il se tait brusquement. Je suis son regard et je comprends. Un groupe qui approche nous menace d’une discussion sur la guerre, sujet rebâché du matin jusqu’au soir par beaucoup d’entre nous et qui, étant donné le peu de nouvelles qui parviennent jusqu’à nous depuis quelques semaines, ne peut donner lieu qu’à des déductions fantaisistes. Nous sommes plusieurs, toutefois, qui évitons non seulement de parler de la guerre, vu l’inanité de tout entretien sur une question dont nous ne savons plus rien, mais aussi de nous trouver au milieu de ceux qui en parlent.

Un de ceux qui viennent de notre côté est précisément l’un des internés qui sont le plus obsédés par la guerre. Le fait que nous ignorons à peu près tout des événements gigantesques qui se déroulent exacerbe sa hantise. Les yeux noirs désorbités, la barbe souvent inculte, on l’aperçoit partout, le dos voûté, qui roule dans sa tête de très graves pensées. Des souvenirs de la précédente « dernière guerre » — qu’il a faite vaillamment, d’ailleurs —