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LA VILLE SANS FEMMES

sceau indélibile. Elle laisse des traces que les ans n’effacent pas.

Au coin de la rue Sainte-Catherine et de la cuisine, je rencontre un avocat qui est un vibrant partisan des bains de soleil. La température de feu qu’il fait le comble d’aise. Très « anglais » dans sa manière de considérer l’hygiène et le confort, il est toujours épilé, rasé, astiqué, parfumé, tiré à quatre épingles. Cette « élégance » n’est pas seulement extérieure chez lui. Du matin au soir, on voit dodeliner sa silhouette d’un bout du village à l’autre. Il se hâte vers les occupations les plus hétéroclites. Tantôt il s’en va rédiger des épîtres en anglais, en français ou en italien pour les « peu forts en lettres ». Puis il donne généreusement des conseils à ceux qui le prennent comme confident des échecs subis dans leurs affaires. On l’appelle pour servir d’interprète chez le juge qui vient au camp interroger les internés. Enfin, on l’aperçoit portant des brouettées de déchets de cuisine, besogne qu’il a briguée avec habileté afin de pouvoir profiter des quelques avantages qui viennent de la fréquentation du garde-manger.

La chaleur n’a pas affaibli son entrain.

— Je viens de finir mon boulot, me dit-il, rayonnant ; je vais maintenant prendre un bon bain de soleil ; après quoi, la douche…

Aguiché par le fumet d’une vapeur dense que dégagent les proches marmites, je lui demande :

— Qu’aurons-nous de bon à manger ce soir ?