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LA VILLE SANS FEMMES

chologique, beaucoup plus une bourgade qu’une caserne. C’est une petite ville sans femmes où l’on assiste dès le début à la course aux faveurs, où chacun, avec plus ou moins de dignité ou de finesse, s’efforce d’obtenir « la meilleure part du gâteau ». Les Italiens du midi ont un mot très expressif pour désigner la façon d’agir de quelques-uns d’entre nous : Camorra, mot dérivé du nom d’une société de racketeers qui existait jadis à Naples et qui eut son heure de triste célébrité. Il faut dire qu’ici la recherche des « faveurs » consiste surtout à savoir s’assurer un meilleur morceau de viande, une double portion de sucre pour le café ou un oignon cru pour relever l’assaisonnement de la salade.

Le camp ressemble aussi à une petite ville par son administration qu’on pourrait qualifier de politique mais qui, bien entendu, n’exige des « administrateurs » aucune connaissance profonde non plus qu’aucune expérience des affaires publiques. Je veux dire que chaque baraque se choisit un chef, un Hut Leader, et ces douze mandataires ont chacun la responsabilité de ce qui se passe chez eux. Ils exercent leurs fonctions de concert avec le porte-parole ou représentant de tous les internés qui, lui, est élu par eux en assemblée générale. Ce « chef » du camp est l’intermédiaire reconnu entre chaque interné et le commandant militaire. C’est à lui que le commandant indique ce qui doit se faire et ce qui ne doit pas se faire dans le camp. Deux ou trois fois par semaine, le représentant général réunit les douze chefs de baraque, auxquels se joignent le directeur de l’hôpital, le directeur de la cantine