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LA VILLE SANS FEMMES

Je prends les notes de ce journal, et je relis ce que j’ai écrit. Je commence par renier tout ce que j’ai été. En général, quand on lit ce qu’on a écrit longtemps avant, on constate qu’on ne pense plus ce qu’on a pensé. Ce qui n’empêche pas qu’on l’a pensé. Et l’intérêt d’un journal consiste précisément en ceci qu’il montre des vérités successives. On ne saurait mieux comparer un journal qu’à une série d’instantanés. Quelquefois cela vous ressemble, quelquefois pas. Ou plutôt, cela ne vous ressemble plus, mais cela vous a peut-être ressemblé, car nous sommes une suite de personnages différents…

Le train roule, roule dans le jour baissant sur la campagne québécoise. Je regarde avidement par les portières ce paysage qui redevient familier, dont les contours semblent s’adapter à ma sensibilité.

Le soir est tombé tout à fait… Maintenant le convoi traverse avec son vacarme de ferraille secouée par la vitesse des villes clairsemées de lumières électriques, où des gens vont, viennent, comme sur l’écran du cinéma. Puis, de petites localités, dont les noms résonnent aux oreilles avec la douceur de l’intimité.

Enfin, le train entre majestueusement dans une gare ; débordant de cris, de bruits, de mouvements, d’allées et de venues…

Montréal !

Je descends sur le quai. La fatigue d’une veille de trente-six heures est broyée par la joie de côtoyer des femmes, des hommes, des enfants vivant leur vie indé-