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LA TOUR DE BABEL

Oscar, mécanicien et fervent d’histoire ancienne et Ady, sans-filiste, qui parle je ne sais plus combien de langues et poétise en la sienne, ont traînassé par le vaste monde. Et puis, il y a Tony, grosse tête plantée sur un robuste et solide corps de paysan. Adolescent, il eut une aventure amoureuse sensationnelle, avec une dulcinée de soixante ans, qui lui coûta quelques mois de prison pour… viol ! Ici, dans notre ville sans femmes, il pourrait se promener en affichant sur le dos une pancarte avec l’inscription : « Je vends et j’achète de tout », car il a, effectivement, organisé « la petite commerce » sur une vaste échelle. Ses approvisionneurs sont les fabricants de « souvenirs », qui aiment travailler mais ont horreur de marchander, et les camarades qui reçoivent du dehors, dans les colis, des objets dont ils n’ont pas besoin ou qui font double emploi.

Tony, nanti de ces marchandises, accomplit depuis le matin jusqu’au soir le tour de chaque baraque, voit un à un tous les hommes, et fait ses offres en un langage petit nègre de son cru :

— Beau paire gants ?… neufs… lavables… tout laine… deux dollars…

On le traite, comme on traitait jadis, aux terrasses des cafés parisiens, les bicots qui venaient offrir les tapis algériens.

— Tes gants ne valent pas pipette ! Je t’en donne cinquante cents…

Tony a pour principe de ne jamais se fâcher :

— Pas possible. Un dollar soixante-quinze… pour toi…