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LA TOUR DE BABEL

— Si un Hongrois mange un bon plat dans un restaurant, m’explique un de ces marins, pour l’apprécier il doit penser intensément à la femme avec laquelle il aurait bien voulu le partager. Il en va de même de la musique. Vous connaissez, n’est-ce pas ? les fameuses csardas, ces airs joués d’une manière incomparable au violon par des musiciens tziganes. Eh bien, si un homme assis à l’intérieur d’un café est malheureux en amour, dès qu’il entend le violoniste jouer une csarda triste, il se lève et jette son verre par terre. Au contraire, s’il est heureux avec la femme qu’il aime, il veut qu’on joue un chant d’amour… et pendant qu’il écoute, la femme boit tant qu’elle peut.

On comprend qu’avec une telle mentalité, les marins hongrois, presque tous des moins de trente ans, dégagent une sorte d’aura chargée de désirs.

Ils passent une grande partie de leur temps à jouer du violon ou à chanter à mi-voix des mélodies langoureuses…

Parmi eux se distingue Samy, débrouillard comme un Parisien, doué d’un cœur d’or, que je vois à l’œuvre, ici, à l’hôpital, où il est employé comme infirmier et où il se prodigue avec une générosité franciscaine… Il a voyagé beaucoup : au Japon, aux Indes, en Italie, en France. Il est toujours prêt à partager ou à donner ce qu’il possède, toujours disposé à rendre service, même au prix d’un gros sacrifice. Aucune maladie ne le rebute ; il soigne les malades avec dévouement et avec charité. C’est un de ces êtres qui vous réconcilient avec l’humanité.