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LA VILLE SANS FEMMES

Aujourd’hui j’ai assisté à la mort de Don Juan.

Entendons-nous. Il ne s’agissait pas d’une vraie mort. Et il ne s’agissait pas du vrai Don Juan.

Mais, à cela près, c’était vrai tout de même !

« Don Juan » est un camarade que j’ai commencé à appeler de ce nom à cause des innombrables aventures d’amour qu’il a eues avant d’échouer ici. Il a dépassé de peu la quarantaine. Son aspect rappelle celui d’une coquette.

Il a précisément ceci de commun avec les coquettes : une sorte de charme qui lui permet de gagner instantanément la sympathie des personnes qu’il approche. Là où il faut à un autre des semaines ou des mois pour créer un élan d’amitié chez une femme ou chez un homme, quelques minutes suffisent à « Don Juan » pour plaire. Aux hommes, pour certaines raisons. Aux femmes, pour d’autres raisons.

J’imagine aisément ce qu’a dû être l’existence de cet homme. J’ai essayé de la percer à jour à travers les longues conversations que nous avons eues ensemble, le soir, lorsqu’il était malade, que l’hôpital était plongé dans le silence et que, ne pouvant dormir, il venait me prier humblement de le laisser s’asseoir sur les bûches entassées près du poêle.

Depuis des mois, l’hiver enveloppe notre petite ville. Dans ma chambre, à l’hôpital, il fait bon. Le poêle rumine nuit et jour en murmurant. Des chocs légers, des froissements intérieurs révèlent sa vie secrète et débonnaire. Dans la pénombre du soir, un rougeoiement éclaire