Page:Duliani - La ville sans femmes, 1945.djvu/187

Cette page a été validée par deux contributeurs.
185
« N’IMPORTE OÙ, HORS DU MONDE… »

Un autre camarade — un constructeur de Montréal, type du gentleman-farmer — s’est amusé à capturer dans la forêt deux taupes qu’il a essayé d’apprivoiser, sans grand résultat, il faut bien le reconnaître. Une de ces taupes, qui s’appelait Pitt, était aveugle et cela ajoutait au pathétique de son sort car la pauvre bête restait enfouie dans les coins reculés d’une cage. Le jour où le gentleman-farmer fut libéré, ses deux taupes le furent aussi. On ouvrit la porte de la petite cabane où elles étaient enfermées. Pendant quelques minutes, les deux bêtes n’eurent pas l’air de comprendre ce qui leur arrivait. Mais s’étant hasardées hors de la cabane et constatant que le chemin ne leur était plus barré, d’instinct elles s’orientèrent vers la forêt. Courant de toutes leurs forces, elles s’y engouffrèrent, heureuses de la retrouver et de la respirer après un si long séjour parmi les hommes !

Un autre animal dressé : une corneille appelée Jacob qu’un Allemand a ramassée dans une forêt alors qu’il habitait un autre camp, à trois ou quatre mille milles d’ici. La corneille, recueillie très jeune, s’est attachée à son maître, qui l’a amenée avec lui. Elle est très drôle, cette bête. Elle participe avec une effusion déconcertante à la vie collective du camp. Le matin, à l’heure de l’appel alors que tous les internés sont rangés sur la grande esplanade du camp pour être comptés, la corneille arrive en battant des ailes, se pose sur les fils électriques tendus entre les poteaux et assiste à toute la manœuvre. À peine l’ordre de rompre est-il donné, la corneille s’en