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L’HEURE DU VAGUEMESTRE

durée, le courrier subit quelque retard. Le moral général en souffrit.

Le courrier était visé d’abord par le censeur, qui le remettait au porte-parole, lequel, à son tour, le distribuait aux chefs de baraque desquels chaque interné recevait ses lettres. Quand le chef de baraque annonçait à haute voix : « Le courrier ! », c’était une course folle. Tous se précipitaient et l’entouraient. Il appelait les destinataires un à un par leur nom. Presque toujours, les « élus » cachaient mal leur émotion. Il y avait des êtres plus sensibles qui feignaient de ne pas trop s’intéresser à l’appel. Ils regardaient au dehors ou semblaient très occupés à quelque menue besogne. Mais dès que leur nom était prononcé, ils bondissaient, comme mus par un ressort, le visage empourpré ou contracté, et on voyait que leurs mains tremblaient en saisissant la lettre.

La distribution du courrier était suivie par l’échange des impressions sur ce qu’il avait apporté d’espoirs ou de déceptions :

— Ma femme, disait l’un, m’écrit qu’on nous attend bientôt. Elle croit que la semaine prochaine il y aura plusieurs libérations…

— Mon père, au contraire, rétorquait un autre, me fait savoir qu’il ne faut pas compter sur une mesure de clémence avant l’année prochaine.

Ceux qui n’avaient rien reçu ou qui n’avaient pas de famille s’accrochaient aux camarades plus heureux et partageaient leurs joies et leurs préoccupations :

— Ton fils aîné est-il toujours malade de la rougeole ?