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SANGLOTS D’AUTOMNE

paraîtraient, s’en iraient, seraient comme s’ils n’avaient jamais existé.

La pluie, qui a redoublé d’intensité, me fouette le visage. Sa fraîcheur me calme et m’apaise un peu. Je la regarde tomber. Elle est aussi une manifestation de la volonté du Tout-Puissant. Elle me donne le spleen. Elle me fait souffrir. Mais elle est indispensable à la bonne marche de la Nature, à cette alternance des saisons destinée à assurer le bien-être général.

Que suis-je ? Qu’es-tu ? Que sommes-nous, six ou huit cents hommes, et qu’êtes-vous, nos femmes, auprès des millions d’autres hommes et d’autres femmes qui vivront un jour plus heureux précisément parce qu’existe cette fatale continuité de journées de pluie et de beaux jours à travers l’Éternité, symbole de la marche progressive du monde ?

On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs, dit-on. Il faut essayer de ne pas être œuf : voilà tout !

Il faut se résigner. Même à ne pas recevoir de lettres de toi pendant quatre jours.

Je retourne vers notre bourgade, plantant rageusement les pieds dans le sable mouillé. Tout à coup je bute contre quelqu’un qui vient en sens inverse, sans regarder, lui non plus, devant lui. C’est un vieil ami.

Toi ?

Oui, fait-il entre les dents.

Son visage est fermé. Ses yeux noirs, en amande, trahissent son effort pour cacher sa détresse intérieure.