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LA VILLE SANS FEMMES

rageusement… Il répondit par une rebuffade à un camarade qui voulait plaisanter. Puis il se leva et s’en alla, pâle, sans plus saluer.

Moi, je feignais l’indifférence. Mais je me disais, avec envie, dans mon for intérieur : « Ils sont plus agacés aujourd’hui que les autres jours, seulement ils n’ont pas de motifs particuliers pour cela, puisqu’ils reçoivent leurs lettres, eux… Tandis que moi !… »

Et voilà maintenant, ce petit bonhomme qui est peut-être dans mon cas… Comme je vais sympathiser avec lui. Comme nous allons nous sentir solidaires…

Ta femme ne t’écrit pas ?

Hélas, fait-il d’une voix sourde, mon cas est plus lamentable encore. Je n’ai absolument personne.

Tant mieux !

Le petit bonhomme a un soubresaut de révolte. Et puis, d’un ton éperdu :

Vous croyez cela, vous, parce que vous avez quelqu’un qui pense à vous, qui vit pour vous… Mais si vous saviez la désolation d’être seul au monde, et de se dire que personne ne vous écrira, que personne ne vous adressera un colis, que personne ne vous enverra une pensée !…

Et, sans même attendre la pommade qu’il était venu chercher, il sort précipitamment.

Je vais jusqu’à la porte et le suis du regard. Il s’en va sous la pluie, le dos courbé, comme l’image de la désolation.