Page:Duliani - La ville sans femmes, 1945.djvu/112

Cette page a été validée par deux contributeurs.
110
LA VILLE SANS FEMMES

quée. Toujours sans chapeau, on le voyait parcourir le camp de l’allure d’un homme allant à une besogne urgente. Il s’arrêtait à l’entrée d’une baraque et restait là, immobile, durant un long moment. S’il s’apercevait qu’on le regardait, il s’en allait en courant comme si on le poursuivait.

Un autre s’était mis dans la tête qu’on allait le fusiller. Un autre encore croyait que son voisin de lit était armé pour le tuer pendant la nuit.

Ces êtres étaient déjà déséquilibrés avant leur entrée au camp. On les a menés ailleurs, où ils ont été soignés, et quelques-uns sont revenus guéris.

Dernière remarque sur l’hôpital. Nous n’avons eu à y déplorer qu’un seul décès survenu quelques jours avant notre départ en masse du camp. C’était un cas désespéré. Le malheureux était un homme de couleur, originaire des Indes néerlandaises. Il était atteint à la fois de tuberculose et de syphilis. Après un séjour assez long dans un sanatorium, il nous avait été renvoyé et nous avions aménagé une chambre pour le recevoir et le garder à l’écart des autres. Nous l’avons gâté de notre mieux. Son âme, qui s’était tournée avec une profonde sincérité vers Dieu, trouva dans le dévouement de l’aumônier militaire catholique un réconfort immense.

Un sourire doux comme celui d’un enfant illuminait son visage chaque fois qu’on allait lui rendre visite.

Un matin, à sept heures, l’infirmier vint me prévenir :

— Je viens de le trouver mort par terre. Il a probablement voulu se lever et il a dû tomber en mettant le pied à terre.