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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

et à cause qu’elle était gâtée, brûlée, et qu’elle approchait de sa cuisse noire, il la trouvait délicieuse.

Étonnée des différentes chairs dont il avait chargé son estomac, je lui dis : « Tes dames que tu peins si sensibles et si délicates pour les petits chiens, comment osent-elles t’approcher lorsque tu as dîné ? si tu avais dans la poche de ta veste du bouillon, de la tête de veau, de la crème brûlée, du chapon, du poivre, du sel et des boudins, l’odeur de ce mélange ne leur serait-elle pas insupportable ? — Assurément ; car elles ne peuvent souffrir l’haleine d’un petit chien qui mange de la viande. — Mais pourquoi supportent-elles sans dégoût l’odeur de la tienne ? — C’est que nous marchons à deux pieds. » — C’était une mauvaise raison qu’Ariste me donnait ; comme il n’en avait point de bonnes, dans ce cas, il y a de l’adresse de satisfaire les gens avec des méchantes.

On leva les plats, je ne vis plus de chairs : on servit des fleurs, des marmousets de porcelaine, des miroirs et des colifichets qu’on ne pouvait manger ; ces bagatelles étaient accompagnées de fruits et ce spectacle s’appelait le dessert. Je mangeai du fruit, je le trouvai agréable. — « C’est au dessert que j’aime ton dîner. — C’est aussi le moment, répondit-il, où l’amitié se développe, où la saillie étincelle, où l’homme, revenu à la nature, revoit l’image de la liberté qu’il a perdue. » Ariste effectivement me parut plus gai ; il fut triste et silencieux tout le temps