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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

la table de nouveau : c’était pour la troisième fois que je voyais changer ce dîner. Surprise de cette abondance, je m’écriai : « Ô Ariste ! que d’ingrédients et de cruautés pour satisfaire ton appétit ! j’ai vu sur la table de quoi nourrir ce que tu appelles un village ; on ne finit point de t’apporter ? comment ton estomac, qui n’est pas plus large que la poche de ta veste, peut-il contenir, sans crever, la mangeaille dont tu viens de le farcir ? la puanteur va t’attaquer, je tremble pour toi. »

Ce troisième service était rehaussé d’une grosse cuisse noire comme la cheminée : je crus que c’était pour faire rendre au Philosophe tout ce qu’il avait pris, qu’on lui apportait cette vilaine cuisse noire ; mais je fus bien étonnée lorsque je le vis, armé d’un couteau, couper de cette cuisse, en mettre un morceau sur son assiette, et le manger avec un appétit incroyable. Ma frayeur redoubla. « Comment lui dis-je, tu manges de cette effroyable chair ? qu’est-ce donc que cette cuisse ? — C’est du jambon. — Qu’appelles-tu du jambon ? — La cuisse d’un cochon : — Mais pourquoi est-elle noire ? — C’est que nous mettons cette viande à la cheminée, afin que la fumée la noircisse. — Tu manges donc aussi de la fumée ? — Tu n’y es pas ; nous faisons cette opération, afin que la fumée, pénétrant dans les pores de cette viande, puisse la corrompre ; cette corruption irrite notre goût, et le flatte. » Il me fit manger de la crème ; je trouvai que cela pouvait être bon, mais elle était brûlée ;