Page:Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

due en l’air, d’où l’on ne voyait que la moitié de son corps ; il parla longtemps sur la puanteur ; il assura que les hommes de sa belle cave étaient sortis de son sein ; il dit des injures à tout le monde : « pères et mères, s’écria-t-il, vos filles sont libertines, elles vont avec les garçons dans les bois ». Pourquoi cet homme voulait-il que les filles allassent dans les bois sans leurs Emilors ? Je trouvai ce morceau impertinent. « Vous aimez l’argent, continua-t-il, vous êtes des fripons, des menteurs et des ivrognes… » Deux choses me surprirent dans cette cérémonie : la peine que cet homme se donnait de crier contre des gens qui aimaient l’argent, contre des filles qui aimaient les garçons, et la modération du peuple qui écoutait patiemment, sans répondre, les injures qu’on lui disait.

La cérémonie faite, nous revînmes au château, Mon philosophe m’avait observée attentivement. Il se douta des questions que j’allais lui faire, et nous allions entrer en matière, lorsqu’un domestique nous dit qu’on avait servi. Je n’avais pas encore vu manger Ariste, ni pris d’autre nourriture que du pain et des fruits. Je vis une table garnie de quantité de plats, chargés de chair qui fumaient de corruption ; je frémis à ce spectacle. Je demandai quelles étaient ces préparations, ce qu’on allait faire. « C’est mon dîner, dit Ariste : ceci est une tête de veau, ceci une pièce de bœuf, ce grand plat une soupe, à côté une épaule de mouton, vis-à-vis une tourte de godiveaux. »