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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

puissant ! tu as le tonnerre avec toi ! comment le trouves-tu au bout d’un bâton ? mais quoi, l’oiseau est tombé dans la puanteur ! pourquoi es-tu si méchant ? que t’a fait cet innocent animal ? — C’est que je veux le manger. — Tu m’as dit cent fois que la vie était un état parfait, pourquoi détruis-tu une chose si parfaite ? — Je suis gourmand, je veux satisfaire mon goût. — As-tu donné la vie à cet animal ? — Non, c’est le grand maître de ma cave. — Si tu n’as pas donné le jour à l’oiseau, comment oses-tu le lui ôter ? en as-tu la permission de ton maître ? ne l’offenses-tu point ? » Je me mis à pleurer. — « Pourquoi pleures-tu ? » me dit Ariste. — « C’est que tu es méchant et qu’avec ton tonnerre tu peux me faire ce que tu as fait à l’oiseau. — Ne crains rien, je t’aime trop. » Il me donna beaucoup de raisons, elles ne me contentèrent point, la plus solide était la raison du plus fort.

Le soleil avait déjà séché la terre, nous retournâmes au jardin, je n’osais presque marcher ; je n’avançais qu’en tremblant ; à chaque pas, j’écrasais quelque insecte : « Pourquoi, disais-je au philosophe, vas-tu sans regarder à tes pieds ? à chaque pas tu donnes la puanteur à quelques êtres vivants. As-tu encore de mauvaises raisons pour blanchir ta cruauté ? — Oui, répondit-il d’un ton victorieux ; la nature ne se conserve qu’à ses propres dépens ; elle a répandu une multitude infinie d’êtres sur la terre ; ces êtres existent, comme elle, les uns aux dépens des autres ; la destruction des premiers est