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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

cousine. « Était-elle jolie, me dit-il ? — Oui, monsieur. — Voilà un bon malheur ; vous êtes heureux dans vos accidents ; je voudrais avoir souvent de pareilles infortunes. — Ce malheur, monsieur, ne m’empêchera-t-il point d’entrer au service ? — Oh ! pour cela non, nous coucherions avec toutes les filles d’une garnison, que cela ne ferait pas le moindre malheur. Le Roi raisonne mieux que les pères et mères ; pourvu que vous ayiez l’attention de tourner à droite et à gauche quand je vous le dirai, vous tenir quelques heures sur un rempart sans vous écarter de votre poste, faire la cuisine de la chambrée à votre tour ; car ici, aussitôt qu’on est soldat, on est cuisinier ; en reconnaissance de vos soins, le Roi, qui a des sentiments, vous fera présent d’un habit, d’une paire de guêtres, d’un chapeau, de deux sols et demi chaque jour, du pain et de l’eau à discrétion. »

J’ai vécu sept ans dans les troupes. Ces sept années me firent plus de bien que l’éducation que j’avais reçue. Le dernier de mes camarades valait mieux que tous les pères et mères. Je n’entendais jamais dire : le fermier n’a pas payé, cette vendange m’a bien coûté, les braconniers chassent sur nos terres ; nous avions des cousines, et les pères et les mères ne s’avisaient point de nous donner des coups de bâton.

Je conclus que le système de l’éducation d’Émile ne pouvait tout au plus faire d’un homme qu’une pendule à deux pieds. Je n’admirai plus les pré-