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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

traversa la mer glaciale ; tantôt il nageait sur ces eaux froides, tantôt il marchait légèrement sur les glaces. Après quelques jours de chemin, ils arrivèrent dans l’île des ours blancs.

Les ours habitants de cette île sont avantagés d’un instinct supérieur à la petite raison humaine qui fait des progrès si lents chez les hommes. Ces animaux furent transportés de joie en voyant un homme rendre un hommage aussi vrai à leur allure naturelle. Pour le rendre plus semblable à eux, ils le léchèrent si parfaitement, que le philosophe fut le plus élégant quadrupède de l’île. Ce fut dans le commerce des ours blancs que Jean-Jacques puisa cette grande philosophie, l’étonnement de l’humanité ; ce fut là qu’en suivant l’éducation des jeunes ours, il prit les premières connaissances de cette brillante manufacture de pendules à deux pieds, qui devaient produire les Émiles et des hommes.

Le philosophe, jaloux de se rendre extraordinaire, proposa une nouvelle marche aux ours blancs ; leur prouva par trois cent soixante et quinze paradoxes la nécessité de marcher à deux pieds. Il y a sous la voûte qui vous couvre, leur dit-il, des animaux aimables, légers, inconséquents, qu’on appelle Français ; ils ont parmi eux des savants, des vieux seigneurs, des fermiers généraux, qui ne sont guère mieux léchés que vous. Un peu avant le règne de François Ier, ces animaux, infiniment petits de tête, se sont avisés de se redresser sur leurs deux pattes de derrière ; cette nou-