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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

qui sortaient de Genève ; plus âgé, il s’était noirci l’âme en donnant des leçons de vertu aux belles filles du Valais ; enfin, après avoir polissonné longtemps dans les montagnes de Savoie, il eut le bonheur d’être parfaitement éduqué par un prêtre irlandais qui avait oublié son catéchisme.

Ce sage s’endormit un jour à l’ombre d’un buisson. L’amour-propre marchant à quatre pattes, vint lui apporter un miroir ; il se regarda dans cette glace trompeuse. Honteux de se voir juché sur deux pieds comme ses semblables, il les quitta avec fierté, et vint gagner à quatre pattes les bords glacés de la Russie.

Il s’arrêta vis-à-vis de la presqu’île de Kamtschatka[1]. La misère, le froid et la faim allaient moissonner les jours savants du philosophe, lorsqu’il rencontra un ours blanc. L’animal, frappé de l’allure du nouveau sauvage, s’arrêta ; le feu de la vérité qui brûlait sur les joues de cet homme extraordinaire amollit le cœur de la brute ; ses yeux cruels s’adoucirent, et l’habitant des neiges vint déposer sa férocité à ses pieds.

Les caresses de l’ours, l’intelligence de ses gestes aussi expressifs que le langage le plus éloquent, furent entendus du philosophe. Il se mit sur le dos de l’ours, et se livra tranquillement à son instinct éclairé. L’animal, glorieux de porter Jean-Jacques,

  1. Presqu’île au nord de l’Asie, entre le golfe du même nom et la mer du Japon, à l’extrémité orientale de l’empire russien et de notre continent.