Page:Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

rent quelque temps ensemble assez tranquillement. La bannière de Rougeai faisait plus de bruit que celle de Châteaubriand, à cause que le fer de la lance était un peu rouillé. Choqué de ce grincement, le porteur de celle de Châteaubriand dit à celui qui portait celle de Rougeai : « Mon gars, tu fais bien le faraud avec ta bannière ; tu fais trop de bruit ; sais-tu que la nôtre est d’une autre conséquence que la tienne ? » Son camarade repartit que celle de Rougeai valait bien celle de Châteaubriand ; les porteurs de bannière s’échauffèrent ; le feu se mit dans les deux processions ; on se battit, les oriflammes furent mises en pièces ; les uns revinrent avec un œil de moins, un bras cassé, une tête fêlée, c’était le fruit du zèle du curé[1], qui accusait encore les dragons de ces malheurs. J’ai mis cette farce en vers, je l’ai composée sur les genoux de Lucrèce.

Je fus obligé de partir pour Paris. Le père de Lucrèce, sous l’espoir que je placerais sa fille avantageusement chez une de mes parentes, me permit de l’y mener. Nous vécûmes deux ans dans cette ville où l’estime et l’amitié nous unissaient autant que l’amour. Une aventure m’obligea à quitter Paris. Pour épargner les larmes de mon amante, je partis sans lui faire mes adieux ; je chargeai un de mes amis de lui remettre une lettre. Ce monstre était

  1. Ce fanatique se nommait M. Guérin. C’était un grand homme pour la calomnie »