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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

M. de l’Hiatus avait tort de se fier à ma vertu ; ces messieurs peignent toujours en grand les petites choses ; je crus qu’il ne fallait point démentir le Parnasse. Je fis quelque temps la sévère. L’auteur composa des logogriphes sur mon nom Férie, mit tous mes charmes en chanson, la plupart sur l’air, Le monde pue comme charogne ; il n’y a que mon J*** qui ait l’odeur bonne. Dans les pièces qu’il composait en mon honneur et gloire, j’avais toujours la fraîcheur du matin, l’éclat de l’aurore, la blancheur du jasmin ; il fourrait dans ses compliments je ne sais combien de dieux et de déesses, qu’il apostrophait exprès, disait-il, pour me rendre plus belle. Cet animal m’amusait ; pour couronner ses bouts-rimés, je consentis à lui accorder ce qu’il me demandait depuis si longtemps en vers et en prose. Quand il vint au dénouement, il me fit peur ; je crus qu’il allait m’exorciser ; il s’avisa, étant sur ma bergère, d’élever les yeux et les mains au ciel, en s’écriant avec enthousiasme : « Dieux enivrez-vous de votre nectar ! mais jalousez mon bonheur ; vous n’êtes point aussi heureux que moi ; ne m’offrez point votre coupe sacrée, je vais boire dans une coupe enchantée, préférable à la vôtre. »

Ce galimatias irrita sans doute les dieux ; mon poète ne put rien faire, il avait l’air d’un énergumène qui cherche une rime. Fatiguée de ses efforts humiliants, je me levai, il se jeta à mes genoux et me dit : « Ma chère Babet, n’attribuez pas au défaut de ma flamme l’état impuissant où je viens de me