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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

âmes, l’heure d’aimer te rendit sensible, tu me donnas ton cœur, tu reçus le mien : dans les moments délectables que je passais avec toi, je te parlais sans cesse des délices de la vie tranquille ; j’osai te la peindre au milieu du faste et des richesses de tes appartements. Ces images délicieuses pouvaient-elles s’imprimer dans ton âme ? Oui, tu m’aimais, ton goût était le mien, et tes désirs longtemps avant hâtaient l’instant de jouir de ce sort enchanteur.

Je quittai Paris, où le fanatisme me poursuivait ; je restai quelque temps chez un peuple dur, indigne des caresses de la nature ; aussi leur a-t-elle refusé ses bienfaits. Des hommes d’or et de boue, qui ne connaissent d’autres gentillesses que l’intérêt, peuvent-ils lui appartenir ? Je quittai ce pays barbare ; je vins me fixer sur ces bords isolés, où vingt arpents de terre, une chaumière obscure, une bêche, un ruisseau, sont tout mon bien. Je t’écrivis, ô fille aimable ! de venir embellir ce séjour ; tu n’y trouveras d’autre trésor que mon cœur ; je ne posséderai d’autres richesses que le tien : tu baises ma lettre, et tu t’arraches à l’instant des bras du publicain ; tu oublies la vie voluptueuse et inutile de la capitale ; tu voles dans ce coin heureux de la terre, où tu dois trouver ton amant et le bonheur.

À cent pas de ma chaumière, tu m’aperçois couvert d’une grosse étoffe, une bêche à la main, cultivant un champ encore ingrat. Je songeais à toi en ce moment, je comptais les minutes qui devaient