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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

Qu’il est étonnant, ma chère Zéphyre, que les honnêtes gens n’aient point de crédit chez les boulangers ! Le premier de mai, M. Durpetri vint me demander de l’argent avec le ton d’un homme qui en voulait. Je dois donner, me dit-il, une garniture de blonde à Mme Durpetri ; dans notre métier nous sommes comme les procureurs, nous avons de grands travailleurs chez nous ; tandis que nous n’y sommes pas, on peut mettre la main à la pâte. Si je ne donne pas une garniture à Mme Durpetri, mon front sera aussi chaud que notre four ; il ne faut qu’un moment pour cela, et vous voyez que si ma femme manquait de vertu, je serais accablé d’ennui, et couvert de honte, à cause que j’aurais de la vertu tout seul.

Je parlai poliment à M. Durpetri ; je n’injurie point mes créanciers, c’est un talent réservé à la grandeur. Après beaucoup de raisonnements qui n’aboutissaient à rien, car je n’avais point d’argent, le boulanger, frappé de ma misère et de ma stupidité, me dit : « À quoi diable vous amusez-vous à noircir du papier ? j’aimerais mieux barbouiller des roues de carrosse : un métier qui ne nourrit pas son homme ne vaut point le gros son de ma farine, déchirez votre plume, laissez les hommes, ne songez pas à les corriger, la plupart ont besoin de rester sots, pour se croire heureux dans ce monde et dans l’autre. »

Cet homme, me prenant sans doute pour un chanoine de Notre-Dame, me fit des questions aussi