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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

Nous quittâmes de bonne heure la campagne, nous partîmes pour Paris. La maison d’Ariste était toujours pleine, comme celles de la capitale, de bonnes et de mauvaises compagnies. Il nous vint un jour une dévote et un marquis du Tiers-Ordre de Saint-François. La dévote était belle comme Vénus ; elle était vêtue d’une légère étamine ; sa gorge, arrangée par l’amour, transpirait au travers d’un grand mouchoir fin ; sa parure simple, ses atours, unis comme l’innocence, donnaient une expression si vive et si tendre à ses charmes, que le cœur du sage se sentait amolli. C’est dans ces bras dévots, dit-on, que l’on savoure le plaisir avec plus de sensualité ; les voiles du mystère les enveloppent, et le cœur, ouvert à Dieu dès le matin, les prépare pour le soir aux délices de la volupté.

Le marquis avait une belle chemise garnie ; il avait fait broder sur les manchettes le jugement dernier et, sur le jabot, l’enlèvement de Ganymède. La dévote savait un peu la fable, elle lisait la mythologie, le P. Berruyer et la méchante collection de Mlle Uncy ; elle dit au marquis : « Vos manchettes, monsieur, sont édifiantes, mais votre jabot me scandalise. » Ariste, voyant l’embarras du marquis, répondit à la dévote : « Madame, ce que vous voyez brodé sur le jabot de Monsieur est une anecdote de la vie d’Inigo ; madame sa mère rêva, dans sa grossesse, que l’âne de Balaam enlevait son enfant dans les airs, et lui suçait le sens commun ; voilà pour-