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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

Voyant que je me fâchais, Ariste me dit : « Il faut, ma chère Imirce, que je te raccommode avec lui. Après-demain l’on donne un opéra de sa composition ; c’est un rien assez joliment organisé[1]. Une fille de village a perdu son amoureux ; le maître d’école de sa paroisse, qui est sorcier parce qu’il sait lire, lui prédit que Colin sera encore amoureux parce qu’il aime, et que quand on n’a point d’autres biens que celui de s’aimer et de plaire, les gens réduits à cette misère sont bien forcés de s’aimer. »

J’entendais raisonner à mon côté un grand seigneur, il avait un ruban bleu au col, il parlait de l’opéra avec un petit qui n’avait point de ruban bleu au col. « Ce que je trouve, disait-il, de plus beau à ce spectacle, c’est l’ouverture, à cause du bruit… il y a un opéra, où il y a un cheval ; cette pièce m’affecte, je voudrais toujours voir des chevaux, j’aime les chevaux, on n’en met pas assez sur ce théâtre ; on n’y voit que l’enfer, le vieux Caron : je voudrais voir les Danaïdes égorger leurs trente maris, et puis avec leurs paniers percés, puiser de l’eau dans la Seine. »

« Monseigneur, répondit celui qui n’avait point de ruban bleu au col, vous êtes divin, vous savez parfaitement la fable. — En fait d’histoire sacrée et profane, je ne connais pas un seigneur aussi entendu que moi ! cependant je ne lis jamais, je suis le troisième de ma maison qui sait signer son nom ; je

  1. Le Devin du Village, par le grand Démosthène de notre petit siècle.
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