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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

Un peu plus loin, notre voiture et celle du fermier furent encore arrêtées et croisées par deux tombereaux qui se suivaient ; dans l’un était un grand garçon ; il avait la tête nue ; un capucin lui parlait de temps en temps, lui montrait quelque chose qui me parut d’abord un de ces hochets qu’on donne aux enfants pour les empêcher de pleurer : je regardai plus attentivement, c’était un petit morceau de bois croisé, où il y avait une petite figure qui paraissait respectable au patient. Dans l’autre tombereau était un homme de cinquante ans, à qui un curé contait des histoires qui ne paraissaient pas lui faire plaisir. Ces hommes m’inquiétèrent, je demandai ce que signifiait cette cérémonie. — « Ce sont deux coquins, à qui l’on va donner la puanteur : le plus âgé volait dans les bois, le plus jeune a dérobé dix sols à son maître. — Comment, tu détruis un homme pour dix sols ! Tu prives la société d’un sujet qui lui gagnerait dix mille francs ? Ta justice peut-elle condamner un homme à mort, la vie étant un don du maître de ta cave ? As-tu le droit naturel de détruire un présent si précieux ? Pourquoi pends-tu celui-là pour dix sols, tandis que tu laisses vivre ce grand voleur de fermier ? Il n’y a point de raison ni de justice dans ta cave. »

Je marquai une envie extrême de voir donner la puanteur à ces hommes, je crus que cela devait être beau et satisfaisant ; je voyais courir le peuple avec un empressement inhumain ; la voiture avança, nous entrâmes dans la place de Grève ; le