Page:Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
100
IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

chettes. Je demandai ce que signifiait ce portrait ? — « C’est le diable, me dit Ariste, ou le Manitou[1] ; nous le peignons ainsi pour nous faire peur, comme les enfants, qui font des masques de papier pour s’épouvanter les uns les autres.

— « Pour augmenter ta peur, tu as arrangé des cornes sur la tête de ton Manitou, et les cornes te font rire, tu en remplis les maisons de Paris : regarde ton front, tâte-le bien, tu sentiras de chaque côté deux protubérances placées par la nature pour t’en planter ; les femmes connaissent le terrain ; et la nature est bien maudite quand elles n’en plantent point. Ah, mon ami ! tu peins bien des bêtises ? as-tu vu le Manitou ? — Non : je crois qu’il doit être curieux. »

Nous fîmes une visite à une parente d’Ariste ; au retour, nous fûmes croisés auprès de la Grève par un carrosse étincelant, tiré par six chevaux. Je demandai à qui appartenait ce somptueux équipage entrelacé avec nous dans la confusion de Paris ? — « C’est la voiture d’un fermier général, gens plus fripons que ceux que nous avons rencontrés dans le bois : — Je vois que celui-là a fait longtemps le métier, il paraît riche ? — Aussi l’est-il : — Mais à propos, tu m’a dis qu’on donnait la puanteur aux fripons ? — Oui, ces publicains sont d’une espèce privilégiée, ils volent impunément, parce que l’État a peut-être besoin de voleurs. »

  1. Les Nègres appellent le diable le Manitou.