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poupon de la demi-mondaine, élevé au biberon, tardait à prendre la coloration nacrée des belles chairs qui s’alimentent au sein. Cependant, il avait augmenté du poids voulu. La fille de la mère Rameau était magnifique et le fils de Madame Lartineau boxait de toutes ses menottes pour défendre la tranquillité de son repos. La maman, — dans un geste exquis de passion maternelle — serrait son enfant à deux mains, comme si un danger le menaçait ; et ses lèvres frôlaient au passage les petits doigts qui voulaient battre ou griffer.

— Bon pour le service ! dit en riant le docteur, après la pesée. La classe 1914 sera vigoureuse, mais bruyante si j’en juge par votre fils.

La jeune femme qui contemplait cette réduction d’humanité toute rose et toute potelée ne se pressa pas de répondre. Soudain, — comme si tant de grâce et de pureté exaspéraient l’homme de science, — il ajouta, la voix haineuse :

— En voilà un qui a des chances de mourir à la guerre.

— Au champ d’honneur ! rectifia la maman.

— Dame ! puisque tout le monde est soldat.

— À la volonté de Dieu, murmura la jeune mère en reposant son fils dans le berceau ; son père lui apprendra à bien mourir ; en attendant, je lui enseigne à vivre et vous voyez qu’il a des dispositions.

— Mâtin ! vous êtes patriote au moins ; pas d’inutile peur, pas de récrimination !