Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/286

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 282 —

poitrine et offrit un sein gonflé à l’appétit du parasite.

— C’est curieux !… Elle ne l’a pas embrassé ! dit la sage-femme à son aide-infirmière. Est-ce que les Françaises n’aiment pas leurs enfants ? Elle le regarde comme elle observerait un phénomène.

Le visage de Jeanne Deckes avait en effet une gravité si profonde, que les Allemandes qui l’entouraient n’osaient pas la questionner. Quand la première tétée fut achevée, on posa le bébé bien emmaillotté tout près d’elle, sur l’oreiller, et sa méditation continua. Qu’avait-elle engendré ? Une brute ou un homme ? L’atavisme ? Que valaient ses théories ? Elle en était là de ses pensées quand le petiot, dans un gigottement impulsif, posa sa menotte sur la joue maternelle. Jeanne Deckes tressaillit, et sans avoir le temps d’analyser le réflexe de sa tendresse, elle baisa les petits doigts de l’innocent. Ce fut doux à sa chair, doux comme une attirance d’âme, comme une irrésistible sympathie. Alors elle se hasarda. Un peu confuse de son entraînement, elle essaya d’approcher ses lèvres du petit visage pourpre et frippé. C’était chaud, c’était satiné et elle n’en reçut aucune répulsion charnelle. Subitement le baby se mit à crier. D’un élan elle prit son enfant et le berça pour l’apaiser ; et les baisers s’échappèrent en foule de la bouche qui avait proféré tant de malédictions.

Une plantureuse commère vint bientôt près du lit