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proportions sentimentales ? Les mots, toujours et jamais sont les démons de toutes les langues, car tout est éphémère, surtout l’amour. Nous nous entêtons à bâtir une éternité sur un éclair.

À la gare de Péronne, Marcel Dumont salua de loin le voile blanc de Rhœa ; lentement, elle inclina la tête. Nul trouble de la chair ne ressuscita dans son être ; celui qui se démenait dans la foule, là-bas, c’était une forme dont le contact l’avait pourtant émue jadis. Il ne lui restait de leurs enlacements que le souvenir d’une fraîcheur sur une brûlure, un peu comme le bien-être d’un fruit mûr sur des lèvres altérées. Quand il disparut, elle reprit sa méditation.

— C’est pour ça, pour ça… répétait-elle, atterrée !

Puis elle revécut son premier crime.

Une femme était venue, le ventre déformé déjà, et s’était mise à pleurer sur le même abandon qu’elle pleurait elle-même. Toutes deux avaient paré les réalités de l’amour des colifichets dangereux que vendent les feuilletons populaires, et les romans ineptes. Le philtre qui tient dans le mot « toujours » les avait grisées et la haine de l’adverbe « jamais » les fouaillaient de tentations malsaines. Exagérant leur état de victimes, elles crurent s’entr’aider ; et le premier crime s’accomplit.

Quand le fœtus de trois mois et demi s’étala sur la couche, — mort et déjà si nettement esquissé, — la