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Si l’on peut haïr le dilettante, Dieu garde de médire de ceux qui ont donné ce but à leurs méditations, le pain quotidien. Racine et Molière ont gagné leur vie grâce à leur génie. Peut-être aujourd’hui, la démocratie régnant, est-il plus âpre de plaire à tous et à soi-même ; le danger n’est pas cependant de flatter un public que d’aucuns savent dompter, mais de prendre la plume, sous prétexte d’un loyer à payer, plus souvent que n’y oblige le mouvement de la pensée.

A une époque où l’on ne peut demander à l’artiste de vivre la vie de Gringoire ou de Villon, l’artiste, s’il n’a pas le tempérament d’un Hugo, hésitera à diluer l’évolution de son esprit dans la production quotidienne.

Il ne faut juger personne ; qui connaît les raisons secrètes des choses ? Il faut seulement que l’on blâme un peu moins ceux qui n’ont pas demandée l’art l’obligation de payer le pain et le vin et qui, bien convaincus et se félicitant hautement de ce que la muse ne nourrit pas son homme, ne lui imposent aucune ambulation nocturne, parmi la foule, sur le trottoir des grandes villes modernes. Bureaucrates, portefaix ou banquiers, selon que votre tempérament s’accommode du logement sur cour avec eau et gaz, de la mansarde ou du somptueux domaine historique, Diogène ou Sénèque, le soir, quand vous serez seul en face de vous-même, ne craignez pas, et librement dites en un sonnet ou en un poème épique, suivant votre loisir