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les premiers poètes du vers libre

Quant à l’assemblage de pieds rythmiques que constitue le vers, au lieu de laisser le poète les assembler selon la musique qui chante dans son esprit, il prétend l′obliger, comme les Latins et les Grecs, à n’employer les pieds rythmiques que suivant un ordre déterminé par avance, ce qui est bien le contraire même du vers libre[1]. La tentative de Dumur n’a pas eu de succès. Pour

Dans les cas d’E muet réellement prononcé, nous scandons, par exemple :

Le tendre — baiser…

Il trancherait à même le mot, à la façon latine et grecque :

Le ten —dre baiser…
  1. Dans l’article de juin 1890, Dumur cite des vers de Moréas qui se trouvent (évidemment par hasard) répondre à sa théorie, en ce sens qu’ils sont (du moins les cinq premiers) rigoureusement anapestiques (on se rappelle que l’anaspeste comporte deux brèves suivies d’une longue) :

    Chère main aux longs doigts délicats,
    Nous versant l’or du sang des muscats,
    Dans la bonne fraîcheur des tonnelles,
    Dans la bonne senteur des moissons,
    Dans le soir où languissent les sons
    Des violons et des ritournelles.

    et Louis Dumur ajoute :

    « Dans cette strophe il y a pourtant un vers qui détonne, un seul, qui heurte désagréablement l’oreille, au point que l’on se prend à compter les syllabes pour voir s’il est juste : c’est le dernier. Ce vers est, en effet, faux rythmiquement ; l’accent tonique, qui devrait tomber sur la troisième syllabe, tombe sur la quatrième. Pour rétablir le rythme, il faudrait transporter l’accent sur la troisième syllabe, en changeant la quatrième en atone, et dire :

    Des violes et des ritournelles. »

    Mais précisément ces vers de Moréas me semblent à moi antimusicaux, à cause de la terrible monotonie de ces quinze anapestes successifs, et le seraient plus encore si cette monotonie n’était