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— « Soyez tranquille. »

— « Vous me direz ce que vous aurez fait. »

— « Oui. Au revoir. »

Poignées de mains. Il se retourne. Au revoir. Je vais monter l’avenue de l’Opéra ; je dînerai au café du coin de l’avenue et de la rue des Petits-champs ; j’aurai le temps d’arriver chez moi avant neuf heures. Le bureau de poste. Je devrais bien écrire à mes parents ; je suis en retard ; j’écrirai demain ; demain, j’ai le cours de l’École-de-droit ; pour les trois cours où je fréquente, je dois n’y pas manquer. Lucien Chavainne va ce soir au Français. Oui, un brave garçon ; non assez simple ; mais on peut commercer avec lui ; lui parler ; il comprend ; il est de bon goût et élégant ; et véritable ami ; on a du plaisir à se rencontrer avec lui ; la prochaine fois, je lui dirai les raisons toutes de ma tenue ; c’est dommage que je ne lui aie pas davantage expliqué mon après-midi ; peut-être eût-il deviné tout le charme inclus en mon amour ; mais il est si fermé à ces choses ; avoir, par fois, quelques heures de bonne intimité, causer, dire et faire des riens, embrasser ses minces mains, et, aux jours de licence, ses yeux ; hélas, hélas, ses mains et ses yeux ; ses mains, ses yeux, ses lèvres. Hélas, quand donc, oh, quand aimerait-elle ? quand se donnerait-elle ? et quand ses lèvres ? Deux mois, il y a deux mois ; non, c’était à la fin, eh non, à la moitié de février ; et voilà deux mois depuis notre premier, notre unique embrassement ; hélas, et si anciennement. Point heureuse elle n’est. On allume les candélabres de gaz dans l’avenue ; c’est que le soir croît. Comment sera-t-elle, au retour ? en le long cachemire bleu, sans doute, avec pendante la longue tresse de ses cheveux ; elle était, cette fois, ingénue, une fillette ; ou la caressante fille aux velours chauds, elle était blanche alors, blanche pallidement, d’une pâle blancheur de séductrice ; et