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dans la brume ; la ligne des maisons aux fenêtres claires et des arbres foncés dans la nuit ; oui, mais combien charmante en sa feinte dignité, grave et drôle ; maintenant charmante sans feintises ; elle a redressé sa tête, blonde et blanche, hors la blancheur blonde des étoffes flottantes ; et un fin corps d’enfant féminin, gracile, fluet et potelé ; un invitant sourire, une promesse aux caresses, une mollesse inclinée à s’abandonner en des bras ; car en cette heure où vaine la journée fuit et n’est plus, après la journée quelconque éteinte, c’est ma nuit, l’heure de mon amour.

— « … Oh mon amie… vos lèvres sont frivoles et aux vents d’ici qu’elles s’envolent… »

Et ses mains ; et, de ses mains, par mes mains et mes bras et mon cœur, une vapeur, un frémissement, une chaleur, une poignance, cela monte jusqu’à mes yeux ; presque chancellerais-je ? oh, je te veux ; tant pis aux longs respects, aux amours humbles, aux beaux projets, aux tardifs amours préparés si longuement, aux départs, aux renoncements, aux renoncements tant pis, mon amante, si je te veux ; et je la regarde, en sa pâleur charnelle et des joies folles annonciatrice, celle que pour un songe je renoncerais. Cependant de mes mains elle tire ses mains ; je me recule de deux pas ; elle vient vers moi ; sur mes épaules elle met ses mains ; et, comme d’elle je me grise et déraisonne, elle me parle, en une façon de fée.

— « Vous viendrez samedi à la fête de l’hôtel Continental ; vous verrez que je serai jolie… »

Oui, certes, immortellement.

— « … Je serais si attristée de ne pas vous trouver ; et puis, je vous ferai honneur… »

Ah, tout séduisante bien-aimée.

— « … Vous m’apporterez, n’est-ce pas, ce tablier pour mon costume… »