— « Vous êtes-vous un peu arrangée avec votre mère ? »
— « Pas du tout. »
Elle semble ne vouloir pas parler de ces choses ; j’ai eu tort de les amener ; alors quoi lui dire ?
— « Il est impossible » elle reprend « qu’on s’arrange avec elle ; elle voudrait que je suive tous ses caprices ; vous comprenez que c’est une vie insupportable. »
— « Pourquoi la supportez-vous ? »
— « Parce que je ne puis pas faire autrement. »
— « Comment ? si votre mère vous ennuie, dites-lui… »
— « Oui ! elle ferait un beau tapage. »
— « Enfin, vous êtes chez vous. »
— « Eh non, je ne suis pas chez moi ; voilà le malheur ; l’appartement est loué à son nom ; les meubles, tout est à elle. Et c’est moi qui paie tout. »
Contre le piano elle se penche. Je me doutais que l’appartement était à sa mère ; qu’y faire ? rien. En une nonchalante marche, la voici vers ce divan ; sur le divan elle se met ; ses robes s’étendent ; sur les coussins sa jolie tête attristée ; au dessus de sa tête elle lève ses bras.
— « Ah, quelle existence, quelle existence ! des envies me prennent de tout lâcher. »
— « Que dites-vous, mon amie ? »
— « Je serais plus heureuse à garder des dindons en Bretagne. Si mon père savait que je suis au théâtre ! »
— « Vous voulez aller en Bretagne garder des dindons ? »
— « Je n’aurais plus à me tourmenter ; je retrouverais la famille de mon père ; vous ne vous doutez pas quelle vie j’ai. »
Je vais vers elle ; au près d’elle je m’assieds ; je prends sa main.