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descend la rue ; un ouvrier ; le voici ; quelle solitude, quelle triste solitude, loin des mouvements et de la vie ; et la rue se termine ; maintenant la rue Monceau ; encore ces hautes maisons, majestueuses, et le gaz y jetant sa lumière jaune ; quoi dans cette porte ?… ah, un homme ; le concierge de cette maison ; il fume sa pipe ; il regarde les passants ; personne ne passe ; moi seul ; ce gros vieux concierge, que fait-il à regarder la solitude ? me voici dans l’autre rue ; brusquement elle se rapetisse, elle devient tout étroite ; de vieilles maisons, des murs en chaux ; sur le trottoir, des enfants, des gamins, assis par terre, taciturnes ; et la rue du Rocher, et ainsi, les boulevards ; des clartés là, des bruits ; là des mouvements ; les rangées de gaz, à droite, à gauche ; et obliquement, de gauche, une voiture parmi les arbres ; un groupe d’ouvriers ; la corne du tramway chargé de gens, deux chiens derrière ; tout en les maisons, des fenêtres éclairées ; ce café en face, ses rideaux blancs lumineux ; le tapage, au près de moi, d’un omnibus ; une jeune fille en un vêtement bleu sombre, un visage rose ; la foule ; le boulevard ; je vais traverser cet espace, aller là ; parmi ces gens je vais être ; alors je vais être moi là-bas, moi le même, le même encore, là et non plus ici, moi toujours, je serai ; haut et en devant, la butte ; des clartés sous le ciel clair ; à droite, le long mur, le mur du réservoir ; je ne connais aucun de ces venants ; me voient-ils ? quel me croient-ils ? des cris d’enfants qui jouent ; des roues lourdes sur les pavés ; des chevaux lents ; des marches ; dans les arbres plus denses le ciel obscurci ; mes pas sur l’asphalte monotonement ; un chant d’orgue-de-Barbarie, un air à danser, une sorte de valse, le rhythme d’une valse lente… … où est l’orgue-de-Barbarie ? derrière, quelque part, sa voix criarde et douce… « j’ t’aim’ mieux qu’ mes dindons » … un chant qui va et recommence, un même