Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amoureux, tout est perdu. Vous lui avez parlé ? »

— « Pas tout de suite. Elle m’avait remarqué ; elle me l’a dit plus tard. Je sus qu’elle demeurait avec sa mère. Vous devinez le reste. »

— « Oui. Vous lui avez remis des billets. »

— « Non. J’ai enfin eu l’ami d’un ami qui m’a mis en relation avec ces dames. »

Du proxénétisme.

— « Et vous êtes content ? »

— « J’ai connu une fille au cœur profond ; non enfantine, non folle ; une sérieuse fille, à l’âme sûre, de peu de paroles, aux regards constants, une véridique femme. J’allai chez sa mère ; sa mère, ah, si bonne ; elle comprit, et elle eut confiance, la chère, brave et admirable maman. Une histoire, n’est-ce pas, de madame de Ségur. La maman use ses soirées à tricoter, comme au vieil âge ; elle joue aussi du piano ; Élise et moi, nous bavardons… »

Quelle candeur.

— « Et cela dure depuis six mois ? »

— « Depuis cinq à six mois. Un soir, nous nous sommes promis que nous nous marierions ; elle était toute en blanc, assise dans un fauteuil ; moi près elle, sur une petite chaise ; c’était dans un coin de leur salon ; la maman souvent s’obstine à déchiffrer des morceaux difficiles ; du Iansen par exemple ; Élise me dit, absolument immobile, très bas, avec l’air de ne pas remuer ses lèvres, et comme si quelque autre divine et qui eût été elle, eût parlé, elle me dit — le premier soir où vous êtes ici venu, j’aurais si j’avais osé dit Oui… et elle me dit — mon ami, je serai votre femme… Elle m’a dit ces mots, cela. Vous voyez la scène ? Alors la maman s’est tournée ; elle nous regarda et elle s’écria — eh bien, mes enfants, nous vous marierons ; ne vous gênez pas…