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Non ; ce qui m’avait éloigné de la poésie, c’étaient ces études d’histoire et d’érudition elles-mêmes. Si les affaires n’ont rien d’incompatible avec la poésie, l’étude patiente des textes y est, par contre, un médiocre entraînement. Et, pendant de nombreuses années, j’étudiai, mais du point de vue de l’érudition seulement, les livres de la Bible.

Mais la Muse est une maîtresse à qui l’on ne renonce pas ; c’est quand on croit lui avoir échappé, qu’elle reprend son délicieux et terrible pouvoir. L’évolution que j’ai essayé de vous analyser se continuait, moitié dans l’inconscient, moitié aussi dans le conscient ; toute une jeunesse vouée au culte de la poésie et passée dans l’ombre de Mallarmé ne pouvait s’abolir. Malgré l’application aux études de textes, et, en même temps, il est certain que le travail commencé dès cette jeunesse se poursuivait.

Et, en même temps aussi, l’incantation biblique peu à peu opérait. Ces textes que je ne pensais étudier qu’en érudit, leur qualité poétique, leur puissance de beauté, pouvais-je y rester indifférent ? Je n’y cherchais que des documents historiques et j’y trouvais peu à peu l’expression de l’idéal poétique que portait mon inconscient.

Est-ce l’effervescence d’émotions et d’idées suscitées par la guerre, qui a fait jaillir des âmes les sources qui en étaient encore à sourdre ? Je sais plusieurs écrivains qui, comme moi, dès le premier hiver de la grande mêlée, se sont retrouvés poètes.

Jamais il n’a été écrit plus de vers que depuis quelques années ; il n’y a pas à douter que l’horrible calamité ait été dans nos cœurs une puissance excitatrice.

C’est à cinquante ans passés, jeunes gens, que l’homme qui vous parle a pris conscience de la grande nécessité morale qui du divin Mallarmé le ramène à la très humaine Bible. Mallarmé, par son œuvre et par sa vie, aura été le premier éducateur ; la Bible est le suprême exemple qui enseigne aux poètes, jeunes et vieux, comment on peut aller au symbole par le chemin du réel.

Puisse l’occasion m’être donnée un jour de parler de la Bible à la jeunesse littéraire, mais en érudit en même temps qu’en poète ! Pour connaître Mallarmé, il suffit de le lire, — j’entends de le bien lire ; pour connaître des poèmes écrits il y a plus de deux