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parle comme parlaient les vieux prophètes. Dans tel de ses poèmes où il célèbre l’Ile de France, André Spire est profondément biblique.

Ne croyez pas surtout, jeunes gens, que vous allez trouver dans la Bible une entreprise de moralisation… C’est pour moi une stupeur toujours nouvelle, d’entendre les religions d’aujourd’hui (et spécialement le protestantisme) répéter que la Bible est une école de moralité, — la plus haute école de moralité… Ces gens-là ne comprennent donc pas ce qu’ils lisent ? ou plutôt ne veulent-ils pas comprendre ? ou plutôt le lecteur protestant ne lit-il pas sa Bible française exactement de la même façon que nos dévotes catholiques lisent leurs prières latines ? Pour quelques traits par-ci par-là qu’on peut donner comme exemples, pour quelques maximes de sagesse qu’on peut épingler dans un prêche, la Bible présente presque à toutes ses pages les actes et les préceptes les plus contraires à notre morale moderne. Mais ce n’est pas avec ces préoccupations qu’il faut lire la Bible ; pour le poète comme pour l’historien, la Bible n’est ni morale, ni immorale ; la Bible est « amorale » ; la Bible est une littérature ; la Bible est l’âme de ceux qui l’ont écrite. Pire que les dieux d’Homère et des tragiques grecs, Iahveh dieu d’Israël y est la plus terrible et la plus magnifique expression de ce tréfonds humain, de cet inconscient humain où fument toutes les passions.

J’entends l’objection : ce retour à la vieille Bible, n’est-ce pas, tout simplement, le retour à la barbarie ?

Il faudrait savoir ce que vous entendez par barbarie, et s’il ne s’agit pas plutôt de désembourber la poésie.

Georges Duhamel cite, après André Gide, un mot de Charles-Louis Philippe[1] :

Le temps de la douceur et du dilettantisme est passé ; maintenant il faut des barbares.

Et il ajoute :

Il faut des barbares pour la poésie comme pour le roman.

Ce n’est pas comme une réaction contre « la douceur et le dilet-

  1. Propos critiques, 11, puis 13.)