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a menée contre les survivances de ces anciennes religions nous a valu toute espèce de précieux renseignements… Comme disent certains, injurier quelqu’un, c’est lui faire de la publicité… Monument du judaïsme, la Bible se trouve être ainsi le monument des plus anciennes religions de l’humanité ; le totémisme lui-même y a laissé, fort nettement, des vestiges. Même quand elles sont vouées à l’extermination, l’esprit des religions primitives souffle à travers toutes les pages de la Bible.

Je voudrais au moins réussir à attirer l’attention des jeunes gens, non seulement vers l’histoire des religions telle que nous la pratiquons aujourd’hui, mais spécialement vers les religions primitives. Tous ces usages, façons de penser, façons d’agir, sentiments collectifs, actes irraisonnés, parmi lesquels nous vivons et que l’habitude estompe d’un nuage d’imprécision, de conventionnalisme, d’irréalité, vous les verriez, au fur et à mesure qu’ils remontent à leurs origines, prendre une signification, se situer, se « réaliser ». Les croyances et les institutions des peuples civilisés ont leur origine et leur explication dans les croyances et les pratiques des primitifs. L’étude des croyances primitives, a-t-on dit, est une exploration du fond de l’âme humaine.

Quelle leçon, quand on a derrière soi deux mille ans de philosophie, deux mille ans de dialectique métaphysique ! Les termes mêmes qui expriment aujourd’hui les notions les plus abstraites de la philosophie ont exprimé, à l’origine, des matérialités ; esprit, âme, dieu, pouvoir, y sont « des choses »… C’est la bonne source où la poésie, Iahveh m’en est témoin, peut aller boire.

Mais la Bible, j’entends la littérature biblique, est mieux qu’un exemplaire des langues et des religions sémitiques et primitives. Je ne puis mieux faire que de citer ici un homme qui n’a pas, comme Renan, fait de ces questions sa spécialité, mais que son instinct d’écrivain a conduit à une vue exactement juste, — notre grand et cher Han Ryner. Dans sa Tour des Peuples, il raconte[1] ce que les Chaldéens appelaient l’histoire des commencements :

  1. Pages 166 et suivantes.