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Seule une formule à la fois « prose et vers » est capable d’exprimer cette conception du théâtre. Le théâtre a ceci d’admirable qu’il est, par définition, le jaillissement même du monde intérieur ; mais pour être cela, n’est-il pas nécessaire qu’il puisse, instantanément, s’élever de ce qui semble être de la prose à ce qui apparaît être un vers ? C’est ce que j’essaie d’obtenir avec 1’ « alinéa »… Disons donc que les deux pièces que je viens de vous annoncer sont écrites en « alinéas »[1].

Un crime et un délit.

Le crime, c’est celui des musiciens. Voyez comment la plupart d’entre eux mettent les vers en musique ! comment ils en brisent l’unité ! comment ils les morcèlent au gré de leur misérable mélodie ! Et combien leurs balourdises prosodiques ont contribué à fausser, dans le public, le sens du rythme poétique !

Les plus grands comme les plus humbles. Si jamais il fut un musicien de génie, ce fut Debussy ; la façon dont il a estropié les rythmes de Verlaine et de Baudelaire fait pendant à la façon dont certains professeurs de l’Université traduisent les écrivains de l’antiquité.

Rappelez-vous le délicieux « Quasi tristes » du Clair de Lune, et le sacrilège rythmique qu’a perpétré ce pauvre grand Debussy !

Voyez chez Wagner, au contraire, à quel point le rythme musical correspond au rythme poétique !

Le délit, c’est celui de Paul Fort. Je n’ai encore rencontré personne qui ne souffre de la disposition typographique qu’il a cru devoir adopter.

  1. André Spire écrivait dans la Palestine nouvelle du 15 juin 1919 : « …Technique souple et forte, qui peut exprimer tous les mouvements de l’âme, tous les cris du poète, toutes les images du visionnaire. Cette technique, exempte, comme le verset biblique, de la servitude du mètre fixe et de la rime, obéit à un rythme purement intérieur. Avec elle, il est impossible de truquer. Aucune armature artificielle n’aide le poète. Si l’idée poétique le soutient, le poème est parfait. Si la pensée est indigente, le poème tombe à plat. »